5 questions à Maximilien de Boyer et Alice Lebugle

A l’heure où les secteurs de la défense et de l’aéronautique sont en pleine mutation, nous vous proposons un format d’interview sur l’industrie de la défense et de l’aéronautique avec nos experts Maximilien de Boyer et Alice Lebugle. L’objectif ? Mettre en lumière et analyser les évolutions en cours et les dynamiques qui animent ces industries stratégiques.

  • Quel sera l’impact du plan « ReArm Europe », qui vise à mobiliser jusqu’à 800 milliards d’euros pour renforcer les capacités de défense européennes, sur l’industrie de la défense en France ?

Maximilien de Boyer et Alice Lebugle:

Il s’agit avant tout d’une annonce politique qui, bien qu’encore théorique, envoie un signal fort au secteur. C’est un message positif pour l’ensemble de l’écosystème et pour les investisseurs potentiels. Patrice Caine, le président-directeur général de Thales, a récemment évoqué une mise en œuvre probable dès l’année prochaine, voire en 2027.
Pour l’instant, la visibilité reste limitée, mais la volonté politique est claire : les États veulent allouer des ressources pour renforcer leurs capacités militaires. Du point de vue des acteurs de l’industrie, cette dynamique est perçue de manière très positive, car elle est génératrice d’emplois pour l’avenir.

  • Comment la guerre en Ukraine et les récents changements dans la politique américaine ont-ils modifié les priorités stratégiques des entreprises du secteur de la défense ?

Un exemple est la reprise de la production en série, notamment du canon Caesar.
Le conflit en Ukraine a marqué un tournant : il a permis de passer d’une logique de production à petite échelle à une production à moyenne, voire grande échelle. Nous assistons aux prémices d’un réarmement européen massif en réponse à une éventuelle désorganisation de l’OTAN, à la fin du traditionnel parapluie de protection nucléaire américain et à la montée de l’ours russe.
Ce nouveau contexte pousse les industriels européens à renforcer leur autonomie stratégique.
Naval Group, par exemple, envisage de rouvrir un bureau au Canada, ce qui semblait impensable il y a encore quelques mois. L’objectif est clair : établir une présence locale afin de répondre aux appels d’offres d’un pays qui pourrait se détourner des fournisseurs américains traditionnels.
Les industriels européens se préparent ainsi à conquérir de nouvelles parts de marché alors que le département de la défense américain leur est pour l’instant complètement fermé.

  • Compte tenu de l’augmentation prévue des budgets de défense, quelles sont les compétences particulièrement recherchées pour soutenir cette croissance ?

Tous les métiers liés à la production sont concernés. Il faut des techniciens, des opérateurs, des soudeurs, bref des compétences concrètes pour accompagner la montée en puissance de la production industrielle.

La défense et l’aérospatiale sont des industries de haute technologie qui ne peuvent s’appuyer entièrement sur l’automatisation. L’expertise humaine reste essentielle : ce qui fait la différence, c’est la robustesse et la fiabilité des équipements.
Mais pour concevoir ces systèmes complexes, il faut aussi des ingénieurs.
Des acteurs majeurs de la base industrielle et technologique de défense ont récemment souligné que la France aurait besoin de deux fois plus d’ingénieurs.
Et aujourd’hui, la France souffre d’une réelle pénurie d’ingénieurs, alors même que la demande explose.

  • Quelles sont les tendances actuelles en matière de recrutement dans le secteur de la défense ?

Certaines professions sont très tendues, notamment les fonctions commerciales et les postes d’ingénieurs.
Il s’agit d’un marché très concurrentiel où les candidats qualifiés ont de nombreuses options. De plus, le secteur est difficile d’accès : le réseau joue un rôle essentiel et il faut répondre à des exigences spécifiques, notamment en termes d’habilitations de sécurité.
Il est également important de se rappeler que c’est un secteur qui divise. D’un point de vue éthique, certaines personnes peuvent être rebutées par le monde militaire ou les questions qu’il soulève. Cela limite d’autant plus le vivier de talents disponibles.

  • Quelles sont les carrières d’avenir dans le secteur de la défense ?

L’intelligence artificielle appliquée aux systèmes critiques représente une véritable révolution. Il faut aussi de l’ingénierie système, du supply chain management, des directeurs industriels capables de s’adapter rapidement, et bien sûr des leaders charismatiques capables de fédérer leurs équipes dans des environnements complexes.
L’Europe regorge de pépites technologiques comme Safran.AI (anciennement Preligens), Delair, Command AI, Harmattan AI.
Mais aussi des PME en devenir comme Exail Technologies, ainsi que de grands programmes français ou européens avec NAVAL GROUP, Dassault Aviation, Airbus D&S dans le cadre du FCAS.
Enfin, on peut citer les dernières technologies de Thales, comme cortAIx, ou le carnet de commandes plus que bien rempli de MBDA.

En bref, le défi consistera à faire émerger une nouvelle génération de décideurs capables de suivre un rythme inédit depuis la Seconde Guerre mondiale. Les profils capables de sortir des sentiers battus et d’offrir une vision véritablement disruptive seront déterminants.