Les partenariats publics-privés dans l’infrastructure : Un modèle remis en question par le contexte politique français

Les partenariats publics-privés (PPP) ont longtemps été un levier essentiel pour financer et réaliser des projets d’infrastructure en France, allant des réseaux de transport aux équipements publics en passant par les infrastructures énergétiques. Cependant, le paysage politique actuel, marqué par une polarisation accrue et une montée en puissance des extrêmes, remet en question ce modèle de coopération entre l’État et le secteur privé. Alors que les nouvelles orientations politiques s’installent tant bien que mal, les décideurs doivent repenser la viabilité et les implications des PPP dans ce contexte incertain.

Une polarisation politique qui fragilise les PPP

La montée en puissance des extrêmes, tant à gauche qu’à droite, redéfinit le débat autour des partenariats publics-privés. D’un côté, le Nouveau Front Populaire de Jean-Luc Mélenchon prône une intervention plus forte de l’État dans l’économie, se montrant critique envers les concessions accordées au secteur privé dans le cadre des PPP. De l’autre, le Rassemblement National, mené par Marine Le Pen et Jordan Bardella, insiste sur la souveraineté nationale et se méfie des influences étrangères dans les projets d’infrastructure, ce qui pourrait ralentir, voire bloquer certains partenariats avec des multinationales.

Les récents projets, comme l’extension du réseau de transport Grand Paris Express, illustrent ces tensions. Alors que ce projet francilien repose largement sur des partenariats entre acteurs publics et privés, l’émergence de critiques sur les coûts et la gestion des risques met en lumière les divergences idéologiques actuelles. Victoire Duhem, Practice Director chez NAOS International, note : « Les décideurs se retrouvent dans une position délicate où les PPP, auparavant considérés comme un modèle de financement innovant et efficace, sont désormais au cœur des débats politiques, rendant leur mise en œuvre de plus en plus complexe. »

Les incertitudes réglementaires et juridiques : Un frein à l’investissement

L’incertitude politique crée également un climat de méfiance chez les investisseurs privés. Certaines réformes impulsées par le gouvernement, combinées aux tensions parlementaires et une dissolution surprise de l’Assemblée nationale en juin dernier, peuvent conduire à des changements abrupts dans la réglementation qui encadre les PPP. Les investisseurs, en quête de stabilité, pourraient donc hésiter à s’engager dans des projets de grande envergure si les règles du jeu sont susceptibles d’être modifiées en cours de route.

Le développement du territoire en première ligne

Les collectivités territoriales se trouvent aujourd’hui face aux conséquences de l’immobilisme des services publics, qui ralentit ou met à l’arrêt de nombreux projets d’urbanisme massifs. Ces projets, essentiels pour le développement local et la revitalisation des territoires, peuvent être bloqués par des lenteurs administratives, des retards dans les prises de décision ou des divergences politiques.

Un rapport de la Cour des Comptes de 2021 a d’ailleurs mis en évidence les lenteurs administratives dans le traitement des projets d’urbanisme en France, soulignant que « les délais de décision des services publics et les conflits d’intérêts au sein des collectivités territoriales sont des obstacles majeurs au développement urbain ».

En conséquence, des initiatives clés, comme la rénovation des centres-villes ou le développement de nouvelles zones résidentielles et commerciales, stagnent, laissant les collectivités avec des investissements gelés, des emplois non créés et une frustration croissante parmi les habitants. Cette situation met en lumière la nécessité d’une meilleure coordination et d’une plus grande efficacité dans l’action publique pour soutenir le dynamisme local.

Notons aussi la situation des projets d’énergies renouvelables.

La France a annoncé des objectifs ambitieux en matière de transition énergétique, nécessitant des investissements massifs dans les infrastructures vertes. Ces objectifs ayant aboutis sur la création du Plan National Intégré Énergie-Climat (PNEC).
Selon ce plan, la France vise à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, ce qui nécessitera des investissements estimés entre 60 et 70 milliards d’euros par an d’ici 2030 dans les infrastructures vertes et les technologies liées à la transition énergétique.

Cependant, les récentes fluctuations politiques et les retours en arrière sur certaines décisions environnementales ont semé le doute chez les partenaires privés. Une étude de la Fédération Française du Bâtiment (FFB) montre que 45 % des entreprises du secteur perçoivent l’instabilité réglementaire comme le principal obstacle à leur participation dans les PPP.

« Les investisseurs sont désormais plus prudents, exigeant des garanties supplémentaires et des conditions contractuelles plus strictes, ce qui peut ralentir la progression des projets et augmenter leur coût global », souligne Victoire Duhem. Cela place les autorités publiques dans une situation difficile, car elles doivent équilibrer le besoin de flexibilité politique avec la nécessité de maintenir un environnement attractif pour les investisseurs.

Le renouveau de l’interventionnisme d’État : Un retour en force

L’interventionnisme étatique, prôné par certains partis politiques, gagne du terrain dans le débat public. Ce retour en force de l’État peut se traduire par une prise en main directe de certains projets d’infrastructure, reléguant les PPP au second plan. Quelques leaders politiques valorisent un modèle où l’État reprendrait le contrôle sur des secteurs stratégiques, ce qui pourrait dissuader les entreprises privées de s’engager, craignant une intervention accrue ou des nationalisations.

Prenons le cas des infrastructures de télécommunication, notamment le déploiement de la 5G. Bien que ce projet nécessite des investissements privés importants, certains courants politiques envisagent un rôle prépondérant de l’État dans la gestion des réseaux, argumentant que ces infrastructures sont d’intérêt national et ne doivent pas dépendre du secteur privé.

L’exemple de Huawei dans le déploiement de la 5G

Notons aussi les discussions autour du rôle d’entreprises comme Huawei dans le déploiement de la 5G en Europe.
Bien que la France n’ait pas interdit Huawei, elle a imposé, en 2020, des restrictions significatives, illustrant la méfiance et l’idée que l’État doit avoir un rôle plus actif dans le contrôle de ces infrastructures.
Méfiance étrangère, récupérée et exacerbée par la tonalité souverainiste de certains discours du RN par exemple.

Cette vision, bien qu’encore minoritaire, commence à influencer les décisions, ralentissant les partenariats existants et compliquant les nouvelles initiatives.

« L’idée d’une reprise en main étatique est séduisante pour une partie de l’électorat, mais elle risque de freiner les innovations et les investissements nécessaires pour moderniser les infrastructures du pays », avertit Victoire Duhem. « Les entreprises doivent naviguer dans un environnement où l’incertitude politique peut transformer du jour au lendemain un partenariat en un champ de bataille idéologique et juridique. »


Dans ce contexte politique tendu, les partenariats publics-privés en France font face à de nouveaux défis qui remettent en question leur efficacité et leur pertinence. La polarisation politique, l’incertitude réglementaire et le retour d’un certain interventionnisme étatique complexifient la tâche des décideurs dans le domaine des ressources humaines et des affaires. Ces derniers doivent désormais intégrer ces nouvelles variables dans leur stratégie pour réussir à mener à bien des projets d’infrastructure cruciaux pour le développement du pays.

Alors que la France s’efforce de moderniser ses infrastructures tout en respectant les contraintes budgétaires, les PPP restent une option viable, mais nécessitent une approche plus nuancée et adaptée aux réalités politiques actuelles. Les acteurs du secteur doivent se préparer à un environnement où la coopération public-privé est plus que jamais sous les projecteurs, et où chaque décision peut avoir des répercussions majeures sur la faisabilité et la durabilité des projets.